"REINCARNATION: ENTRETIEN AVEC LE DR IAN STEVENSON"
Un reportage de Joël André (12/03/2011)
Contestées, la perception extrasensorielle, la psychokinèse et autres facultés Psi ? Presque admises, dirait-on plutôt en comparant le statut qu’elles ont acquis en recherche expérimentale à celui des deux questions terminales de la parapsychologie : la survivance et la réincarnation.
Curieusement, l’authenticité des phénomènes Psi risque de constituer l’obstacle majeur, sinon définitif, à une éventuelle probation de la « vie après la mort » et/ou de la « renaissance dans un nouveau corps ». Nombre de parapsychologues attribuent en effet les données positives à l’appui de la survivance (contacts médiumniques avec l’au-delà, signaux « adressés » par les décédés à leurs proches, etc…) soit à de pures rémanences psychiques imprégnant le milieu physique ou l’inconscient collectif, soit à leur extraction par perception extra-sensorielle : télépathie, clairvoyance, psychométrie. Même lorsque la « présence » d’un disparu est signée par des effets physiques (poltergeist), l’hypothèse de psychokinèse inconsciente de la part d’un des membres vivants de la famille suffit à discréditer la réalité d’une intervention « depuis l’au-delà ».
Que dire alors de la « réincarnation » ? Non seulement l’idée heurte profondément les convictions scientifiques actuelles mais elle va à l’encontre des présupposés religieux du monde occidental. Surmonterait-on ces deux oppositions majeures que l’on aurait encore bien du mal à prendre au sérieux la phénoménologie réincarnationniste telle que la distille une certaine littérature : récits de « vies antérieures » imprégnés d’une imagerie simpliste et saturés d’anachronismes flagrants, vocations paranoïaques à faire revivre telle personnalité illustre (les rieurs ont alors beau jeu de recenser les multiples « réincarnations » de Marie-Antoinette ou de Napoléon), existences revécues sous hypnose et pour ainsi dire « à la chaîne » : au Canada, les professionnels du genre ou « réincarnautons » font ainsi « régresser » jusqu’à 2 000 personnes en une même séance !… Bref, de quoi décourager les chercheurs sérieux de s’exposer sur ce sujet à la défiance du grand public et aux risées du monde universitaire.
Le Dr Ian Stevenson(1918-2007), professeur de psychiatrie à l’Université de Virginie, a pourtant décidé de passer outre. Depuis plus de vingt ans, il parcourt le monde pour recueillir ce qu’il appelle prudemment « des cas suggérant la réincarnation ». Pour parer aux difficultés que nous venons de rappeler, il élimine d’emblée les récits d’adultes, trop bien construits et invérifiables. Il leur préfère les allégations spontanées d’enfants en bas âge qui n’ont eu ni le temps, ni les moyens (sans parler des motivations) pour « inventer » le thème central de leurs dires : à savoir qu’ils sont la « continuation » d’une personnalité précédente, morte quelques mois ou quelques années auparavant. On verra par ce qui suit comment de tels récits peuvent être minutieusement contrôlés et en quoi, toutes hypothèses partielles étant par ailleurs exclues (fraude, cryptomnésie, hérédité, télépathie, clairvoyance, médiumnité, etc…) la meilleure hypothèse d’ensemble reste celle de la réincarnation.
C’est d’ailleurs la conclusion du très sérieux et très officiel « Journal of the American Medical Association » : « Au sujet de la réincarnation, Stevenson a rassemblé soigneusement et sans parti pris une série de cas détaillés… Les faits rapportés s’expliquent difficilement par toute autre hypothèse que celle de la réincarnation ».
Le grand mérite du Dr Stevenson, outre la rigueur des comptes rendus et des méthodes d’enquête, est de n’avoir pas hésité à discuter en profondeur les hypothèses parapsychologiques. Pour chacun des cas, non content de montrer la non-consistance des objections normales (fraude, cryptomnésie, mémoire génétique), il analyse en détail l’éventualité d’informations paranormales et leur peu de retentissement sur la validité d’ensemble du dossier étudié.
Les travaux du Pr Stevenson remettent en question deux dogmes sacro-saints des sciences humaines : l’influence exclusive de l’héritage génétique et du milieu familial/ culturel dans la constitution de la personnalité humaine. Sir Cyril Burt, généticien réputé, démontrait il y a quelques années que l’intelligence d’un sujet dépend exclusivement de son potentiel génétique. On vient de s’apercevoir que ses résultats étaient truqués. B.F. Skinner, chef de l’école néo-behaviouriste aux U.S.A., voulut prouver la toute-puissance du milieu environnant en plaçant sa fille âgée de quelques mois dans une cage de verre « à température et humidité constante » (sic). Elle en sortit schizophrène à l’âge de quatre ans et l’est encore.
A la lumière de ces deux exemples, les recherches du Pr Stevenson prennent un caractère d’humanité presque rassurant. Et qui pourrait encore juger aberrante une perspective qui se propose, selon Stevenson lui-même, de compléter notre connaissance de la personnalité humaine et de contribuer à « la présomption qu’au moins une partie de nous-même survit à la mort » ?
Joël André : Professeur Stevenson, en quoi vos recherches sur la réincarnation sont-elles liées à votre formation de psychiatre ?
Pr Stevenson : C’est une remise en cause des théories orthodoxes de la personnalité en psychiatrie. Cette dernière prétend expliquer l’individu sur la seule base de son acquis génétique et de l’influence du milieu familial et culturel. Or certains faits résistent à une telle conception. La génétique n’explique pas toutes les marques de naissance, toutes les anomalies congénitales. Le milieu environnant n’explique pas tous les comportements.
Q. — Nous reviendrons sur le problème des marques de naissance. Quels sont, sur le plan comportemental, les attitudes qui vous semblent relever davantage de l’hypothèse réincarnationniste que de la psychiatrie classique?
R. — Elles sont assez nombreuses. Pour prendre un cas répandu, celui des phobies chez les enfants, je ne crois pas que l’on puisse résoudre le problème uniquement en termes d’expériences traumatiques survenues depuis la naissance. Certaines phobies très précoces me paraissent motivées par des faits antérieurs à la conception.
Un des cas que j’ai étudié est celui d’une fillette de Sri Lanka qui témoignait à la fois d’une grande aversion pour l’eau et d’une frayeur intense à la vue des autocars. Dès qu’elle put parler, elle raconta comment, « dans une vie précédente », elle avait reculé précipitamment au passage d’un autocar, était tombée dans un champ inondé et s’était noyée.
Q. — Comment faire la part de l’imagination infantile et d’éventuelles réminiscences de vies antérieures ?
L’impact de la thèse réincarnationniste en psychiatrie, si elle venait à être admise, serait considérable. Les phobies, identifications et fixations infantiles, que la psychanalyse s’efforce d’expliquer par des processus psychiques précoces, s’éclaireraient d’un nouveau jour. Ainsi Shamlinie, une fillette de Sri Lanka, manifesta très tôt une grande peur de l’eau et des autocars. Elle en vint à raconter, détails vérifiables à l’appui, des épisodes d’une autre vie : celle d’une fillette d’un village voisin noyée dans un champ inondé pour avoir voulu éviter un autocar qui passait rapidement sur une route étroite.
TOULKOUS
Dans le bouddhisme tibétain, un Toulkou est un « réincarné» ayant gardé le souvenir de ses existences antérieures. Du moins est-ce la conception populaire. Sur le plan initiatique, les notions sont un peu plus complexes, faisant notamment appel au concept de Bodhisattva.
Un bodhisattva est un être ayant atteint l’état de Bouddha, la perfection spirituelle. Libéré de tout égoïsme, et de toute nécessité de renaître dans un corps physique, il choisit pourtant de se manifester dans de nouveaux corps pour aider d’autres êtres à atteindre à leur tour la Vérité et la libération.
Les différents toulkous que nous présentons dans ces pages ne sont pas des « réincarnés» du même genre que les enfants étudiés par le Pr Stevenson. Ces derniers représentent une transition involontaire et « aveugle » de la personnalité d’un corps physique à un autre. Les toulkous sont, à l’opposé, l’émanation consciente (supra-consciente, pourrait-on dire) d’un Bodhisattva animant une ou plusieurs lignées de maîtres spirituels qui perpétuent son influence et son enseignement à travers les siècles.
Le Vénérable Kalu Rinpoche, instructeur spirituel (guru) du Karmapa et du Dalaï-Lama. Curieusement, aucune information n’est donnée sur ses incarnations antérieures. Tous les détails en sont pourtant contenus dans un texte tibétain qui ne sera divulgué qu’après la mort de Kalu Rinpoche. Il serait en effet l’émanation d’une figure spirituelle si prestigieuse que la révélation de son identité pourrait susciter chez les adeptes une adulation excessive
Le petit garçon libanais, Imad Elawar, est considéré par le Pr Stevenson comme un de ses meilleurs cas, sinon le meilleur de tous. Né en 1958, Imad prétendit dès l’âge de trois ans avoir vécu dans un autre village et décrivit avec force détails les lieux et les personnes qu’il y avait connus. Il raconta divers épisodes marquants de cette vie antérieure (accidents, bagarres, chasse, etc.), parla de « sa » maison et des endroits de celle-ci où se trouvaient différents objets, évoqua avec nostalgie ses amis et la belle jeune femme avec laquelle il avait vécu, Sur soixante indications fournies par Imad, cinquante-sept se sont avérées rigoureusement exactes. Mais la grande force de ce cas, c’est que le Pr Stevenson en eut connaissance avant la rencontre entre la famille d’Imad et celle du défunt qu’il prétendait être (un certain Ibrahim Bouhamy, mort de tuberculose en 1949). Le Pr Stevenson put donc dresser la liste de toutes les affirmations d’Imad avant de l’emmener dans le village évoqué par l’enfant. La vérification a donc été menée dès le début par Stevenson lui-même.
Un dossier convaincant publié dans l’ouvrage de Stevenson déjà cité. Il s’agit d’une jeune Ceylanaise, Gnanatilleka, qui se souvenait d’une autre existence avec «deux frères et beaucoup de sœurs ». Elle faisait allusion à la famille de Tillekeratne, un garçon mort plus d’un an auparavant à l’âge de treize ans. Il avait effectivement deux frères et sept sœurs.
Les récits de Gnana commencèrent quand elle avait un an. Lorsqu’elle eut quatre ans, ses parents l’emmenèrent au village où Tille avait vécu. Elle désigna correctement la maison qui, détail intéressant, était bien celle de Tille au moment de sa mort mais était occupée depuis par une autre famille. Elle reconnut Mr Sumithapala comme « son professeur qui ne la punissait jamais» et récita en détail une histoire mythologique qu’il aurait enseigné à Tille (à propos des vies antérieures du Bouddha !). Tout cela était exact.
L’idée de réincarnation constitue un principe important de la religion hindouiste, pratiquée par la grande majorité des habitants de l’Inde. L’hindouisme est la plus vieille religion du monde toujours vivante, et l’on peut faire remonter ses origines jusqu’au IVe millénaire avant J-C. Ses doctrines et ses pratiques ne sont pas très différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient il y a des milliers d’années. Les efforts de persuasion des conquérants et des missionnaires musulmans et chrétiens ont eu peu d’impact, pour ce qui est des idées fondamentales de l’hindouisme, sur la foi de la plupart des Indiens. J’ai évoqué, dans l’introduction de cette monographie, les rapports complexes qui unissent la croyance en la réincarnation dans certaines cultures à l’apparition de cas qui semblent prouver et justifier celle-ci. (...)
Le cas de Jasbir
Dans la plupart des cas dits de réincarnation, la personnalité antérieure meurt plusieurs années avant la naissance de la personnalité actuelle. L’écart de temps varie mais, dans les cas survenus en Inde, il est en moyenne d’environ cinq ans. Le cas qui nous occupe présente une caractéristique inhabituelle : la personnalité antérieure à laquelle le sujet s’identifia ne mourut qu’environ trois ans et demi après la naissance du « corps physique de la personnalité actuelle ». (...)
Au printemps de 1954, Jasbir, le fils de Sri Girdhari Lal Jat, vivant à Rasulpur dans le district de Muzaffarnagar (U. P.), était considéré comme mort de la variole ; il avait trois ans et demi. Le père de Jasbir alla voir son frère ainsi que les autres habitants du village afin qu’ils l’aident à enterrer son fils « mort ». Comme la nuit était assez avancée, ils lui conseillèrent de reporter l’enterrement au matin. Quelques heures après, Sri Girdhari Lal Jat remarqua par hasard des soubresauts dans le corps de son fils qui, progressivement, revint complètement à la vie. Il fallut plusieurs jours avant que l’enfant prononçât quelques mots et plusieurs semaines avant qu’il pût s’exprimer clairement. Quand il retrouva l’usage de la parole, son comportement changea de manière frappante. Il affirma alors qu’il était le fils de Shankar, du village de Vehedi, et qu’il désirait s’y rendre. Il ne voulait pas manger dans la maison des Jat puisque, étant brahmane, il appartenait à une caste supérieure. Ce refus catégorique de manger aurait certainement provoqué à nouveau sa mort si une brahmane, voisine de Sri Girdhari Lal Jat, ne s’était très gentiment chargée de préparer sa nourriture, selon la tradition brahmane. (...)
Jasbir se mit à donner de plus amples détails sur « sa » vie et sur « sa » mort dans le village de Vehedi. Il décrivit notamment comment, lors d’une procession de mariage qui allait d’un village à un autre, il avait mangé des bonbons empoisonnés. Il prétendait qu’un homme à qui il avait prêté de l’argent lui avait donné ces bonbons. Il avait alors été pris de vertiges, était tombé de la carriole qu’il conduisait, s’était blessé grièvement à la tête et en était mort. (...)
Trois ans plus tard environ, cela attira l’attention de Srimati Shyamo, une brahmane originaire de Rasulpur qui s’était mariée avec un homme de Vehedi, Sri Ravi Dutt Sukla. Cet homme ne retournait que très rarement à Rasulpur (à peu près tous les sept ans). Au cours d’un de ces voyages, en 1957, Jasbir la reconnut comme étant sa « tante » ; Elle rapporta cet incident à la famille de son mari et aux Tyagi à Vehedi. Or, les circonstances de « sa » mort et d’autres faits racontés par Jasbir correspondaient exactement aux évènements de la vie et de la mort d’un jeune homme de vingt-deux ans, Sobha Ram, fils de Sri Shankar Lal Tyagi qui habitait Vehedi. Sobha Ram était mort au mois de mai 1954, dans un accident de carriole, conformément au dire de Jasbir. La famille Tyagi ignorait cependant tout d’un prétendu empoisonnement ou d’une quelconque créance de Sobha Ram avant d’avoir entendu les déclarations de Jasbir. Ce n’est que par la suite qu’ils en vinrent à soupçonner l’empoisonnement.
Quelque temps après, le mari de Srimati Shyamo, Sri Ravi Dutt Sukla, en visite à Rasulpur, entendit parler des propos de Jasbir et il le rencontra. Le père de Sobha Ram ainsi que d’autres membres de sa famille vinrent ensuite voir Jasbir ; celui-ci les reconnut et établit parfaitement leurs liens de parenté avec Sobha Ram. Quelques semaines plus tard, un habitant de Vehedi nommé Sri Jaganath Prasad Sukla fit venir Jasbir dans son village, sur les conseils du directeur d’une sucrerie près de Vehedi. Il le déposa près de la gare de chemin de fer et lui demanda de lui montrer le chemin jusqu’au quadrilatère des Tyagi. Ce que fit Jasbir, sans difficulté aucune. Puis on emmena Jasbir chez Sri Ravi Dutt Sukla et, de là, il montra le chemin (différent du premier) jusque chez les Tyagi. Il resta quelques jours dans le village et, en présence des Tyagi et d’autres villageois, il fit preuve de connaissances précises sur la famille Tyagi et sur ses affaires. Il passa un très bon moment à Vehedi et rentra à contrecœur à Rasulpur.
Q. — Certains médiums spirites s’identifient pourtant à un défunt jusqu’à impressionner ceux qui l’ont connu par l’exactitude de leurs révélations.
R. — Certains clairvoyants peuvent « mémoriser » des scènes entières de la vie de personnes décédées sans pour autant les confondre avec leur vie propre.
